Un dimanche pluvieux, je décide d’aller à Saïda (Sidon en Libanais) Je m’y rends avec l’espoir d’y voir plusieurs choses : le Château de la mer, bâti à l’origine par les Croisés au début du 13ème siecle, puis reconstruit par les Arabes, ainsi que le palais Debanné, le musée du savon et le souk.
Mais c’est dimanche et beaucoup de ces lieux sont fermés. Ne reste que le musée du savon.
Je ne regrette pas d’être venue juste pour cet endroit qui, au-delà de l’histoire du produit et du savoir-faire qu’il expose, est superbe. Après avoir traversé un charmant petit patio, on pénètre dans un bâtiment de pierres de taille de calcaire jaunes beiges, comme il en existe beaucoup au Liban, organisé en un agencement d’espaces voûtés plus ou moins grands selon leur fonction initiale.
La plus ancienne partie du bâtiment remonte à l’époque médiévale, au 13ème siècle. On y trouvait alors différentes formes d’artisanat et ce n’est qu’en 1850 que l’ensemble est adapté pour y intégrer la savonnerie, petite fabrique fournissant une production artisanale vendue sur les marchés locaux et dans les hammams.
Ce savon traditionnel, ou savon d’Alep, est le plus vieux savon au monde. Pour autant, il ne diffère pas tellement de celui que l’on connaît aujourd’hui et dont les premières productions datent du 3ème siècle avant JC, au moins. Dans une grande partie du Moyen Orient, le savon est fabriqué à partir d’huile d’olive et de cendre de Salsola Kali, plante originaire des déserts de Syrie et de Jordanie, et qui sert à faire de la soude naturelle, jusqu’au début du 20ème siècle où elle remplacée par la soude caustique issue de procédés chimiques. Le savon est ensuite parfumé par l’ajout d’huile de laurier, qui en fonction de sa concentration en fait aussi un savon surgras, ou de Mi’a, essence issue de la résine de l’arbre du Styrax. ( pour savoir si votre savon d’Alep est fortement enrichi ou non en huile de laurier, mettez-le dans l’eau. Si il y a peu d’huile de laurier, il flottera ) Ces différents composants sont mélangés puis chauffés à 120° dans une cuve de pierre, par une chaudière souterraine. Les combustibles sont bien évidemment entièrement naturels : le bois d’olivier, les noyaux d’olives frais, des noyaux d’olives écrasés et séchés puis mélangés à de la pulpe d’olive. Les ouvriers malaxent le mélange à l’aide d’une grande pelle jusqu’à l’obtention d’une pâte jaunâtre. Au dessus de cette pâte, l’huile non saponifiée, et en dessous les eaux caustiques usées qui se déposent au fond où elles sont évacuées par un robinet. Rechargées en principes actifs elles sont ensuite reversées dans la cuve jusqu’à absorption complète de l’huile. En fin de cuisson, la pâte est arrosée d’eau pure afin de précipiter au fond de la cuve les impuretés non diluées. Ce processus de cuisson dure 5 jours à l’issue desquels le maître savonnier goûte la pâte pour déterminer la fin de la cuisson !!! ( les maîtres savonniers étaient-ils excessivement polis ? 🤔) Puis la pâte est ensuite transportée dans des seaux vers la zone d’étendage. Ce savon est l’ancêtre du savon de Marseille, apparu à la fin du 15ème siècle, après que la recette orientale ait été importée en Europe au cours du 12ème siècle, notamment par les Croisés.
En parcourant ces salles voûtées qui racontent une histoire vieille de 24 siècles, on respire les effluves de ce savon. En ces temps de folie technologique dont nous sommes en train de payer le prix fort, et alors même que certains se consolent avec l’idée folle et dangereusement irresponsable, que d’ici le pire nous aurons trouvé le moyen d’aller vivre sur une autre planète, je ressens du réconfort à ce parfum simple et connu venu du fond des âges, portant dans sa fragrance ancestrale l’impression illusoire d’un monde durable, solide et fiable.
La cuve où est chauffé le mélange de d’huile d’olive, d’huile de laurier et la cendre de Salsola Kali.
Sous la cuve, la chaudière alimentée par le bois d’olivier et les noyaux d’olives frais
CI dessous, dans l’aire d’étendage, la pâte est nivelée avec une spatule et l’épaisseur controlée à l’aide d’un étalon. 24H plus tard, le savon est quadrillé avec une ficelle imbibée de teinture rouge. Ensuite le savon est marqué, à l’aide d’un ou plusieurs poinçons, puis les ouvriers, chaussés de patins en bois pour préserver la surface du savon, découpent le savon suivant les tracés rouges.
Le savon neuf doit être préalablement séché afin d’éliminer l’effet irritant des agents caustiques et éviter son effritement lors de son utilisation. Les pains de savon sont donc montés en tours circulaires afin que l’air qui les traverse accélère le séchage. Pour un séchage uniforme, les tours sont régulièrement démontées et remontées, chaque cube étant retourné afin d’en aérer tous les côtés. Le vieillissement du savon qui dépend du temps de séchage faite perdre au savon jusqu’à 30% de son eau et c’est aussi ce qui détermine sa qualité et son prix.