Avant de quitter Saïda, je m’arrête dans une échoppe du souk pour un petit café libanais. Le café libanais (kahwé) est un héritage de la période ottamane, c’est ce qu’on appelle le café turc. Au liban, il se boit nature ou légèrement parfumé surtout à la cardamone. Il est servi dans de petites tasses. Si vous avez l’occasion d’en boire, pensez à vous arrêter avant d’atteindre le marc qui se dépose au fond de la tasse et dans lequel certaines femmes s’amusent à lire l’avenir en retournant la tasse et observant le dessin ainsi produit…Le café libanais se prépare dans une « rakweh » qui est une cafetière spéciale à longue manche, le café est moulu très finement et se vend parfois déjà parfumé.
Je suis la seule cliente. Il faut dire que le souk en ce dimanche de pluie est quasi désert, et le patron et son employé sont aux petits soins. Voyant que je tousse, ils m’offrent du gingembre et de l’origan pour la tisane anti-moustiques que je me prépare tous les soirs (cf 2 – On n’est pas des moustiques ! ). Nous parlons un petit moment pendant que je mange mon café (dans l’enthousiasme j’ai oublié de m’arrêter au marc). Au moment de partir, le patron m’indique où aller pour trouver le bus qui me ramènera à Beyrouth. « Pas la peine, lui dis-je, j’ai une voiture. » Le gars ouvre de grands yeux, regarde son employé comme pour vérifier que ce dernier a bien entendu la même chose que lui et me fait : « Vous conduisez dans Beyrouth ?! Vous n’avez pas peur ? » « Non, au contraire, j’aime bien ! » Ses yeux s’écarquillent de plus belle, il éclate de rire et me lance « ok, good luck ! »
Et c’est vrai. J’aime bien conduire dans Beyrouth. Je mentirais en laissant croire que ce fut tout de suite une évidence. Étant passagère les premiers jours, je me disais que je n’arriverai jamais à prendre le volant dans un tel bordel. Parce que Beyrouth en voiture, ben…justement « c’est Beyrouth ! ». Le truc c’est que je n’avais pas du tout envie d’être dépendante du programme et du rythme de mes collègues, donc de ne pas pouvoir vadrouiller seule et à ma guise, quand et comme bon me semble, ce que j’aime par dessus tout. Poussée par mon très orgueilleux mais assumé individualisme, je m’y suis donc collée. Et là, Ô joie immense et infinie ! non seulement je me suis adaptée instantanément et mais j’ai eu tout le loisir de pouvoir enfin conduire comme je me retiens de le faire souvent, parfois, en France, c’est à dire à la « pousse-toi d’là que j’m’y mette, ça passe pas à gauche, t’inquiète y a un créneau à droite ».
Je suis née pour conduire à Beyrouth ! la principale règle qu’il faut avoir en tête, c’est qu’il n’y a pas de règle. Tout est une question d’observation (si comme beaucoup de français vous avez tendance à n’utiliser vos rétroviseurs que pour vous remaquiller ou contrôler la propreté de votre cloison nasale, oubliez, Beyrouth n’est pas fait pour vous), de réactivité, et…de couilles. Conduire dans Beyrouth devrait être proposé comme exercice de développement personnel à toutes celles et ceux qu’ont du mal à s’imposer dans la vie. (En tant qu’organisateur du stage, pensez quand même à faire signer une décharge de responsabilité avant ). En tout cas, je suis sûre que si j’avais eu cette expérience plus jeune, j’aurais été meilleure en slalom. Couchée sur le klaxon, en train de doubler à droite sur une file créée tout spécialement à mon usage personnel, j’ai souvent pensé « Fanch, tu serais fier de moi ! » (spéciale dédicace à mon entraîneur de snowboard qui paraissait souvent un peu dépité à l’issue des mes prestations de slalom). Soyons honnêtes, il faut reconnaître un certain sens pratique aux libanais : quand les trois files matérialisées sont ralenties par un trafic trop dense, ils en forment une, voire deux autres. Une technique que je me suis très vite appropriée. De là à dire que ça résout le problème, je ne sais pas, mais en tout cas c’est bien plus vivant et les bouchons passent tout de suite plus vite quand au lieu d’attendre bêtement que ça avance, tu calcules la meilleure trajectoire, évaluant les chances que ça passe, putain ça va être chaud, mais allez, ça se tente .
Enfin voilà, contrairement à mes premières impressions et appréhensions, je me suis sentie très vite comme un poisson dans l’eau, ou plutôt comme une anguille dans le flux. En revanche je n’ai pu me défaire de certaines fâcheuses habitudes contractées dans l’hexagone. A l’inverse des libanais, j’ai toujours mis mon clignotant ! Pour m’excuser de forcer le passage, j’imagine. En même temps, c’est la moindre des choses. On peut conduire comme des sauvages sans se comporter comme des brutes ! Merde !
-Tuuut !!
– Ta gueule !
Note de l’auteure (De moi quoi) : au vu des éléments sus-cités, vous comprendrez que je n’ai pas de photos de conduite dans Beyrouth. Toutes mes condoléances excuses !
Le kahwé en cours de préparation dans la rakweh
Le petit café du souk
Le souk de Saïda, sans sa foule
Trooooooppp bon de sentir l’orient!!!!!
Merci
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup de me lire et ravie que vous y retrouviez des sensations ou des souvenirs !
J’aimeJ’aime
Toujours la verve haute, qui dénote d une grande sensibilité et d une intelligence certaine. ce n est pas pour me déplaire car l humour est toujours là, au coin d une phrase pour densifier le récit .
J’aimeAimé par 1 personne
Merci ! C’est un plaisir d’écrire. Mais savoir que ces mots sont lus et appréciés me touche et m’insufle l’envie quand le doute parfois s’installe. Merci à vous !
J’aimeJ’aime