Beyrouth en maux et en images

J’ai aimé marcher dans Beyrouth. Moi qui généralement prends peu de plaisir à visiter une ville, j’ai été captivée par Beyrouth.

Riche de 6 000 ans d’histoire, (Paris a moins de 2 300 ans), la première Beyrouth est celle des Cananéens, civilisation de l’âge de bronze ! Un tremblement de terre au 6ème siècle, puis un raz de marée, suivi d’un incendie qui la réduisit en cendres, des séismes à répétition (cf note 1)… jusqu’à la guerre de 1975-90, Beyrouth fut maintes fois détruite et maintes fois reconstruite, inlassablement. Mille feuilles de strates architecturales, les monuments sont bâtis sur les décombres de plus anciens, eux mêmes érigés sur d’encore plus anciennes ruines. Ces vestiges attestent des multiples civilisations qui s’y sont succédées, phénicienne, assyrienne, perse, égyptienne, romaine, byzantine, arabo-musulmane…etc. Au cours des 15 années que dura la guerre du Liban, le cœur de la ville, zone de combat désertée par la population civile, est un terrain envahi de gravats et d’une végétation sauvage par endroits impraticable. Un quasi no man’s land assujetti par les combattants que quelques hères sans toit parcourent furtivement, obligés là par la misère. La « Khat Tamass », ligne de contact entre les secteurs majoritairement musulmans de Beyrouth-Ouest et ceux majoritairement chrétiens de Beyrouth-Est, est de ce fait renommée la ligne verte. Des quartiers entiers sont détruits, le centre ville est le siège des bombardements et en dépit de la reconstruction, certains endroits donnent encore aujourd’hui l’impression que la guerre s’est arrêtée hier. Aujourd’hui où, à quelques mètres de ces îlots de désolation, des immeubles flambants neufs règnent. C’est impeccable et soigné, mais sans âme. Si l’ex 1er ministre Rafik Hariri, n’a pas ménagé ses efforts à le faire renaître, il n’est pas arrivé à ce que les habitants se retrouvent dans ce Beyrouth propret, qui donne parfois la sensation d’être si artificiel qu’on pourrait croire à un décor de cinéma. Aussi, jamais réinvestis par les beyrouthins, ces quartiers désertiques, de jungle et de ruines, ont- ils laissé place à des quartiers désertés, d’enseignes de luxe et de banques, vides.

Mais à quelques pas de là, la ville reprend vie. Son histoire riche et mouvementée en fait une passionnante mosaïque culturelle et religieuse. Entre les Chrétiens de toutes tendances (catholiques, orthodoxes, maronites, coptes…) les musulmans chiites, sunnites, les druzes, les juifs…etc, 18 confessions s’y côtoient, sans s’y mélanger pour autant ne vous-y-trompez pas, et dans un périmètre très restreint on trouve mosquées, églises, cathédrales, temples, autant de lieux de culte pour chacun de ces dogmes. Le chant des muezzins se mêle aux carillons des cloches, formidable carrefour d’ascendances variées, de cultures et de croyances, c’est ce Beyrouth là qui me charme. D’une rue à une autre, je découvre le musée Sursock, dont l’architecture mélange styles vénitien et ottoman. A quelques pas, la villa Linda Sursock, privatisée pour un événement mais dans laquelle j’arrive à me glisser discrètement au milieu des préparatifs pour prendre quelques photos. L’hôtel Albergo, superbe Relais et Château à l’architecture traditionnelle libanaise . L’Oeuf ou le Dôme, comme on l’appelle, cinéma des années 50 détruit par la guerre. La mosquée Mohammad Al-Amin, la cathédrale St. Georges des Maronites et son campanile de 70m de haut, la cathédrale St Georges des grecs orthodoxes, le souk… Et à chaque coin de rue, un nouvel univers, un autre Beyrouth. Une villa luxueuse surgit au milieu d’un dédale de ruelles sales. Des graffs polychromes tranchent la grisaille des murs mornes. D’une hideuse décharge sauvage, on aperçoit la mer émeraude. Sur un trottoir, des check points et des militaires surveillent que vous ne preniez pas de photos d’un porte-avion amarré au large, quand, sur le trottoir d’en face, des fenêtres de restaurants et de chambres d’hôtels de standing offrent une vue plongeante sur le vaisseau.

Ville de contrastes, on y voyage dans le temps, le passé surgissant au coin d’une allée ultra moderne et colorée, par la façade criblée d’un immeuble noirci abandonné, rappel à l’ordre du devoir de mémoire. Espace-temps distordu dans lequel l’horreur passée défie à la grâce du renouveau, et la vie ressuscitée s’impose à la désolation des ruines.


Note 1 : une invasion de sauterelles pendant la première guerre mondiale fut à l’origine d’une famine meurtrière de 40 personnes par jour

Note 2 : Solidère (Société Libanaise de Développement et de Reconstruction) est la société créée par le 1ère ministre Rafik Hariri dont la vocation était d’œuvrer à la reconstruction architecturale et économique de Beyrouth. Pour ce faire, au delà du déblaiement des décombres qui servirent à la création de deux marinas, un parc et une promenade de bord de mer, des immeubles endommagés, mais pas seulement, furent entièrement rasés. Afin réaliser son projet, Rafik El Hariri expropria des propriétaires d’immeubles et de terrains en leur octroyant en contrepartie des parts dans la société Solidère, se garantissant ainsi une totale liberté de manœuvre. Aussi s’est-il fait nombre d’ennemis parmi ces propriétaires comme parmi les défenseurs de sites emblématiques de l’histoire de Beyrouth. On estime par exemple que 600 000 à 700 000 m2 de vestiges phéniciens et romains n’ont jamais été explorés. Quelques ruines ont été exhumées pour les touristes, mais le reste gît sous les enseignes de luxes ultra modernes que Solidère a préféré au patrimoine ancestral de la ville et du pays. L’assassinat de Rafik Hariri le 14 février 2005, n’en a pas moins secoué le pays. Peu de temps après, 3 400 étudiants, bénéficiaires de bourses d’études octroyées par la fondation Hariri, déposèrent au pied de son tombeau 3 400 livres symbolisant les « armes du Liban de demain ». Depuis le 14 février est férié, journée grise de deuil national sur fond rose de la fête des amoureux.


ci dessous : une des deux plus hautes tours de Beyrouth. Au deuxième étage se trouvent les bureaux de l’Unicef. Hormis les deux premiers étages, le reste du building est vide comme nombre de ceux qui ont été construits ces 20 dernières années, sans aucune logique d’anticipation des besoins réels.

Ci dessous :

les Marinas construites sur les remblais de la guerre.

L’hotel ST. Georges très endommagé pendant la guerre est emblématique des tensions autour du projet Solidère. Le propriétaire, Fadi el-Khoury, multimillionnaire ayant les moyens de s’opposer à Hariri, refusa de vendre, évoquant une entreprise corrompue, mafieuse. Il conserva son établissement en l’état, comme symbole. Il tenta d’empêcher, en vain, la construction de la marina qui vient couper l’accès de son hôtel à la mer. Il suspendit une large banderole sur la façade de l’hôtel sur laquelle sont inscrits les mots  » STOP SOLIDERE « . Jusqu’au 14 février 2005. Ce jour-là, une camionnette piégée tue Rafic Hariri. Son explosion ravage le quartier, brise toutes les vitres alentour, abat un vieil immeuble et abîme considérablement le St Georges déjà bien amoché. En 2014, une statue représentant le Premier ministre disparu est érigée face à l’hôtel !

ci dessous : Le Beyrouth de Solidère, beau et neuf, mais désert + la réplique miniature de la place de l’Etoile parisienne

Ci dessous : les belles enseignes le soir de la St Valentin…l’amour ne fait pas tout !

ci dessous : La grande mosquée Mohammad Al-Amin et des vestiges romains

Ci dessous : De gauche à droite, La grande Mosquée Mohammad Al-Amin, La cathédrale St Georges des Maronites et son campanile de 70m de haut, et la Cathédrale St Georges des grecs Orthodoxes

ci dessous : la Cathédrale St Georges des Maronites et les vestiges romains

Ci dessous : La très belle Cathédrale St Georges des grecs orthodoxes. Elle fut construite en 1080 sur la structure d’une église des croisés, elle même élevée sur les vestiges d’une église byzantine datant de 550. Le sol en mosaïques est fait à partir des médaillons de pierre issus de l’église byzantine. La Cathédrale fut pillée et saccagée pendant la guerre du Liban comme en témoignent les impacts de balles sur les peintures.

Ci dessous : Le Musée Sursock et quelques oeuvres qui m’ont plu

ci dessous : Jean Kalifé, sans titre, 1976

ci dessous : Juliana Seraphin, Cheval de Nacre, 1974

ci dessous : Nabil Nahas, sans titre, 2016

ci dessous : Adel Saghir, Oriental Symbol, 1973

ci dessous : autoportrait d’un couple d’artistes mais je ne me souviens plus des noms ! 😬

ci dessous : Saïd Aki, Anthology, 1960

ci dessous : Le faste de la villa Linda Sursock, appartenant aujourd’hui au groupe Byblos.

ci dessous : Le souk alimentaire (j’aurais pu y passer mes journées ! 😋). Le café libanais préparé traditionnellement avec le charbon. Sur certains étales, on voit des paniers avec de l’argent. C’est la caisse et c’est le client qui gère : il met directement ce qu’il doit et récupère lui même sa monnaie si besoin.

Le superbe hotel Albergo

Ci dessous : La corniche

Ci dessous : L’Oeuf ou le Dôme, le cinéma de Beyrouth construit dans les années 50, conservé en l’état, témoin et victime.

ci-dessous : Contrasté, surprenant, ostentatoire ou secret, obscur ou éclatant, le Beyrouth que j’aime, en vrac et en vie.

ci dessous : Pour ne pas oublier… (images tirées de livres divers)

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