La Lamborghini de Chress

Entre temps, je continuais, lorsque le temps le permettait, à donner des cours de ski. Les familles libanaises que je rencontrai étaient vraiment adorables. Pour ma part ce fut essentiellement aux enfants que j’enseignai.

J’appréciai particulièrement les moments passés avec Alex, 9 ans et Chress 7 ans, 2 frères. Le matin, la maman vint me prévenir :

« – Ils savent skier, ils suivent les cours de la classe 1 tous les samedis depuis le début de saison, mais euh…comment dire… ils sont très peureux. Je ne sais pas pourquoi »

– Pas de problème, ne vous inquiétez pas. Et vous, vous skiez ?

– Oh la la, non non ! J’ai bien trop peur, c’est beaucoup trop dangereux ! … Enfin, j’espère que vous allez y arriver, ils sont tellement craintifs ! C’est bizarre, je ne comprends pas d’où ça vient.

– 😶…oui bon euh.. allez les gars, on y va.

La maman n’avait pas exagéré ! A peine partis, ils me faisaient la liste des pistes sur lesquelles ils ne voulaient pas aller car ils avaient « trop trop peur ». En gros, il nous restait le tapis et le petit bout piste pour débutants de 50 m de long ! Mais petit à petit l’oiseau fait son nid… euh non, pardon, je m’égare.. oui, donc petit à petit, j’arrivais à leur faire prendre confiance, passer un peu par-dessus leur appréhension, et les faire finalement skier à leur véritable niveau. Ceci étant, je l’avoue, je ne suis pas très fière de certaines des méthodes que j’ai utilisées à cet effet. Pour tenter de leur faire prendre une piste qui semblait les terroriser rien qu’à la mentionner, je me souviens avoir usé d’arguments quelque peu discutables. Même très discutables.

« – Non mais c’est pas vrai, vous êtes des filles en fait ?! Même les filles, elles ont moins peur que vous ! Franchement, c’est un peu la honte ! »

Ce fut totalement inefficace, ça ne les fit pas faire réagir du tout. Comme si ils avaient l’habitude en fait.

En même temps, ces deux petits gars tous flippés étaient vraiment mignons et me touchaient beaucoup. Chress, véritable moulin à paroles, me racontait toute leur vie et Alex commentait de temps à autre, soit pour corriger une information, soit pour la confirmer. Puis Chress m’expliqua que quand il serait grand, il s’achèterait une Lamborghini pour aller vite sur un circuit ! J’arrivai à ne pas pouffer, mais, méchante que je suis, je m’en servis bien évidemment pour le titiller pendant que nous descendions une piste :

« – Ben dis donc, si c’est ça la vitesse, pas la peine d’acheter une Lamborghini !

Ou alors quand il ne faisait pas ce qu’il fallait pour tourner :

« – Si tu la conduis comme ça ta Lamborghini, c’est pas dans un circuit que tu vas aller, c’est dans un mur ».

« – Tu verras bien quand je l’aurai ! » me répondait-il pas le moins du monde vexé.

N’empêche que je finis par leur faire descendre la fameuse piste qui faisait « trop trop peur » et qu’une fois faite, bien évidemment, il fallut la refaire encore et encore, parce que « ça fait quand même un peu peur mais c’est trop bien ». Et quelle fierté que de l’annoncer à maman à la fin du cours ! Forte de mon succès, j’essayai de placer mes pions pour l’avenir :

« – Bon alors Chress, tu m’emmèneras dans ta Testarossa ?

– C’est une Lamborghini !

(Rhoooo la bourde ! Trop pourrie c’te monitrice !)

– Oups, désolée ! bon ben dans ta Lamborghini alors ?

– Non, t’auras qu’à skier derrière, on verra bien qui c’est qui va plus vite comme ça ! »

L’ingratitude des enfants !

De manière générale, ma plus grosse difficulté durant ces quelques jours d’enseignement, ne fut pas de faire oublier la peur mais d’arriver, dans un même cours, à gérer des niveaux et des marges de progression différents. Je me souviens d’une fratrie, deux filles de 8 et 6 ans et une petit gars de 4 ans. Tous les trois absolument débutants. Par chance l’aînée, Layla, comprit assez rapidement comment descendre, tourner, et s’arrêter, le tout en chasse neige. Par chance, elle aima tellement ça qu’elle devînt presqu’immédiatement autonome, et fit ses rotations toute seule avec les petits exercices que je lui donnais de temps à autre, et sans que j’ai trop à m’occuper d’elle. Ce n’était pas un but en soi bien évidemment, mais j’avais trop à faire avec les deux autres !

J’avais réussi à faire faire le chasse neige au plus petit, Naël, et d’après ce qu’il m’en avait montré, il était tout à fait capable de s’arrêter tout seul. En revanche cela s’avéra beaucoup plus compliqué avec la cadette, Monia. Il fut rapidement évident que j’avais à faire à la rêveuse de la famille. Absolument pas apeurée, ni rétive, elle était juste concentrée sur à peu près tout, sauf sur ce qu’elle avait à faire. Monia semblait fascinée par tout ce qui se passait autour d’elle. Elle observait : les gens sur le magic carpet, quelqu’un qui passait à côté, un autre enfant qui tombait un peu plus loin. Tout attirait son regard et attisait sa curiosité, tout… sauf moi et sa leçon de ski. Contemplative à l’extrême, elle se laissait glisser sans tenter d’avoir la moindre action sur ses skis. J’essayai toutes les techniques d’apprentissage que je connaissais, mais ne réussis jamais à lui faire sentir et comprendre le mouvement du chasse neige. Même pour les petits jeux et exercices sur le plat, je passai mon temps à tenter de capter son attention :

« Monia, regarde moi, voilà c’est bien. Non par ici, c’est ici que ça se passe Monia, oui j’ai vu le chien qui mange de la neige mais regarde plutôt par ici Monia. Non, je ne sais pas si les chiens peuvent avoir des angines, allez on essaie de marcher comme les canards avec les skis, voilà comme ça. Non, on ne va pas lui mettre une écharpe, Monia, regarde devant quand tu fais la trottinette, pas derrière ça ne sert à rien, oui le monsieur il a de grands skis, non toi tu n’as pas de grands skis, mais c’est pas grave, ça viendra. Allez, concentre-toi un peu sinon tu ne vas faire que tomber, voilà comme ça. Oui moi aussi j’ai de grands skis, non c’est pas la même couleur que ceux du monsieur, allez on touche la neige et on se relève, non Monia, regarde devant. Oui j’ai vu le tapis est arrêté, non on ne va pas demander au monsieur si le chien peut prendre le tapis… » etc . Sur la petite piste débutant, elle glissait, sans aucun appréhension, les skis droits, en regardant tout ce qui se passait autour d’elle et puis se laissait tomber pour s’arrêter ou par un défaut d’équilibre causé par une petite aspérité dans la neige. J’allais la relever car même si c’est souvent difficile pour les petits, avec Monia ce n’était même pas envisageable, on aurait pu y rester jusqu’à la fonte des neiges ! Souvent, une fois relevée, toujours en observation du monde environnant, elle se laissait tellement aller dans mes bras, qu’une fois lâchée, elle s’affaissait à nouveau telle une petit poupée de chiffons anémique, et il fallait que je m’y reprenne à deux, parfois trois fois, pour qu’elle se maintienne enfin debout. Pendant ce temps, elle commentait ce qui se passait autour de nous.

« La dame elle est tombée. Y a Layla qui passe sur le tapis. Le chien il se roule dans la neige. Y a Naël qui fonce tout droit hyper vite. Y a le monsieur… QUOI ?? Naël ?? Et c’est à ce moment-là que je la laissais retomber, petit mollusque avachi mais toujours souriant, pour m’élancer à toute vitesse vers son frère et le bloquer en mode plaquage aérial (c’est nouveau, ça vient de sortir), juste avant le filet et le ravin.

« Naël ! je t’avais dit de m’attendre pendant que j’allais relever ta sœur !

– Oui, qu’il me faisait avec sa petite bouille d’amour, en me regardant avec ses grands yeux.

– Ben alors ?

– J’avais pas envie.

– … en plus tu sais faire le chasse neige pour t’arrêter, montre moi. Ben voilà, super ! Et tu le sais qu’il faut faire le chasse neige avant d’aller trop vite, pour freiner et pouvoir s’arrêter quand on veut. Oui ? ben alors ?

– J’avais pas envie.

– …

C’était donc un cours passé à remonter récupérer et relever un petit flan à la framboise (sa combi était rose), puis filer en catastrophe attraper au vol et avant impact un petit boulet de canon désobéissant. And repeat, and repeat…

De retour au restaurant où attendait la maman, celle-ci demandait :

« Alors, les enfants c’était bien, ça vous a plus ? »

Naël : « oui ! et je sais faire le chasse-neige pour m’arrêter ! » (Moi : 😶)

Monia : « C’était super, y avait même un chien qui mangeait de la neige ! »

Ben si avec ça je n’en fais pas des champions, il faut que j’arrête les cours de ski…. Tiens, je vais peut-être faire ça d’ailleurs, arrêter. 🤔


Quelques bouilles de mes jeunes élèves

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